Premier poème


Mon premier poème ? Ah, je vous vois venir. Vous pensez donc que j'ai déjà écrit un deuxième ? Ou vous voulez voir si je ne me suis pas arrangé pour sauter par dessus le premier. Y en a qui diront que les premiers poèmes sont à vite oublier comme les premières fois, qui sait ? Quand l'ai-je écrit mon premier poème ?
Il faut remonter. Au loin. C'était par un jour de beau temps, sans pluie, plein de fog et de lumière. Le soleil brillait en plein sur une lune. L'eau et le feu, le haut et le bas, le jour et la nuit se couvraient l'un l'autre. (Y a des moments d'hésitations comme ça dans la vie.) Et moi, je chevauchais, je chevauchais. J'avais des mains. Plein partout. Sur les ailes du moustique, de la colombe, de la mouche. J'avais des yeux. Plein partout. Dans le cul de la mouche, de la poule, de la vache. Et même pas d'ânesse (vous l'aviez avec vous). Comme un voile. Je passais devant. La voisine, la cousine, la tenancière. Ah la tenancière ! Je me suis dis ça vaut, ça vaut tout ça un poème. Nous aussi on le valait notre petit vau. Mais il y a toujours un pépin dans des moments pareils. Vous avez le soleil, la lune se pointe. Vous avez la lumière, la brume vient s'y rajouter. Vous avez la voisine, la cousine vient tout chambouler. Vous avez la poule, le moustique vient vous la piquer. Et vous voulez pousser un cri, voilà que le poème arrive. Mais où trouver pain, stylo, feuille sur le dos du cheval ? Le poème n'est pas une fiente que tu peux laisser tomber où ça te chante, quand ça te chante. La fiente tombe où elle veut. Mais le poème, il faut des rimes, des courses, des chenilles, des nattes. Il faut un poème dans le poème. L'écorce ou l'arbre, la peau ou la chair, il faut les placer à leur juste place, expliquer à chacun le pourquoi de sa place. On n'a jamais fini avec le poème. Alors que la fiente sèche là où elle était et retourne à la poussière. Tout comme le poème diront certains.
Ce devait être là mon premier poème. Maintenant on ne dit plus rien, on laisse la place au poème à venir. Toujours le premier. Qui viendra, s'il le veut bien.

©Seyhmus Dagtekin -
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